jeudi 8 juillet 2010

Les grands paquebots au tournant du XXe siècle 2/2 : L'intervention des Etats

LES GRANDS PAQUEBOTS (L'Illustration du 13 novembre 1897)
Suite de l'article du 7 juillet 2010

"Quelle est la situation de la France vis-à-vis de ces entreprenantes rivales? Nous allons le voir…
Des six principales compagnies de navigation reliant l'Europe aux Etats-Unis, deux, la Cunard et la White Star sont anglaises; deux autres, la Hamburg-Amerika et la Norddeutscher Lloyd sont allemandes; la cinquième est l'American Line; la sixième notre Compagnie transatlantique. La ligne belge Red Star et la ligne hollandaise, Netherland, qui complètent la liste, n'ont que des bateaux de faible vitesse et n'attirent les passagers que par leur bon marché.
Voici, par ordre de vitesse, la liste des principaux paquebots appartenant aux six premières compagnies:
Par la vitesse moyenne de ses navires et par leurs dimensions, l'unique Compagnie française, qui, de 1886 à 1888, grâce à la construction simultanée de quatre paquebots de 9,000 chevaux, avait occupé le premier rang, est reléguée aujourd'hui au sixième et dernier, avec près de trois nœuds d'infériorité sur la Cunard Line.
La Touraine, orgueil du Havre, perle de notre marine marchande, n'a droit qu'au quinzième rang parmi les paquebots concurrents. Par quelque bout que nous prenions les statistiques, les conclusions sont humiliantes pour le pavillon français. Il ne lui reste qu'une supériorité, fort appréciée à vrai dire par les passagers peu pressés, celle de la table .
Si chère que soit la vitesse, les compagnies anglaises et allemandes ne la considèrent donc pas comme un luxe trop onéreux, bien au contraire. Qui la paye? Qui doit la payer? Evidemment ceux qui la demandent et en profitent: les voyageurs et l'Etat.
La clientèle des transatlantiques, comme celle des trains rapides de luxe, est aussi avide de vitesse que de confort. Quelques heures gagnées sur une traversée l'enthousiasment. La mode et le sport s'en mêlent, et le snobisme cosmopolite n'admet plus qu'on passe l'Atlantique autrement qu'à bord de la Campania, de la Lucania ou du Kaiser Wilhelm. Cependant, il paraît difficile de faire payer aux amateurs, ce qu'il coûte, le quart de nœud qui bat le record de la vitesse. Bien au contraire la concurrence oblige les compagnies à réduire de plus en plus le prix des passages. L'augmentation du nombre des passagers (Lucania et Campania en peuvent recevoir 1,800 et La Touraine seulement 1,068 ne suffit certainement pas pour rétablir l'équilibre. Le fret étant insuffisant, c'est le second intéressé, l'Etat, qui fournit sa part contributive.
Pas plus en Angleterre qu'en Allemagne, pas plus aux Etats-Unis qu'en France, l'Etat n'abandonne à elle même l'initiative privée en matière de transports maritimes. Les gouvernements ont intérêt à encourager des entreprises qui assurent les services postaux en temps de paix et dont les navires, transformés en transports ou en croiseurs, peuvent fournir, en cas de guerre, un précieux concours à la flotte militaire.
Les six lignes transatlantiques sont donc largement subventionnées.
L'American Line reçoit, par voyage, 70,000 francs, c'est-à-dire pour cinquante-deux voyages 3,640,000 francs à titre de subvention purement postale. En Angleterre, la subvention est de deux sortes: pour le service postaI, la Cunard et la White Star sont rétribuées au prorata du poids de chaque courrier; d'autre part, chaque paquebot, construit suivant un programme déterminé de manière à permettre sa transformation en croiseur, devient, du jour de sa mise en service, un véritable rentier, pensionné de l'Etat. La Campania reçoit annuellement 187,500 francs, la Lucania 109,375, le Teutonic 181,575, le Majestic 184,900. L'Allemagne subventionne également la Hamburg-Amerika et la Norddeutscher, mais ces deux compagnies, dans leurs rapports annuels, ne publient aucun renseignement précis sur les sommes qui leur sont allouées.
Quant à la Compagnie transatlantique, elle reçoit annuellement, en vertu d'une convention approuvée par les Chambres en 1883, et qui a pris effet en 1886, une subvention fixe de 5 millions 480 mille francs, à laquelle s'ajoutent 1 million 200 mille francs à titre de primes à la vitesse. En 1883, on ne soupçonnait guère de quels progrès subits était susceptible la navigation à vapeur. Le minimum de 15 nœuds, imposé pour autant d'années à la Transatlantique, pouvait être considéré à cette époque comme une vitesse moyenne satisfaisante. C'est au-dessus de 15 nœuds que la Compagnie devait toucher, pour chaque dixième de nœud d'accélération, les douze cent mille francs de surprimes. Quand elle eut construit en même temps La Champagne, La Bretagne, La Bourgogne et La Gascogne, cette flotte homogène suffit pendant trois ans à assurer sa supériorité sur les lignes concurrentes, à attirer la clientèle et à lui faire encaisser la totalité des primes.
... Mais, tandis que la Compagnie transatlantique demeurait ensuite stationnaire, ou à peu près, son traité ne l'obligeant pas à de nouveaux efforts, les lignes anglaises, allemandes et américaines se transformèrent brusquement. Nous venons d'exposer la situation actuelle: avec son matériel démodé, sa moyenne inférieure à 17 nœuds, la Transatlantique continue à encaisser chaque année douze cent mille francs de primes à la vitesse ... "Primes à la vitesse" est, dans ces conditions, d'une ironie délicieuse!
Contre prolongation jusqu'en 1911 de cette subvention, un peu modifiée dans le détail des attributions, la Compagnie transatlantique propose de construire de nouveaux paquebots, filant 22 nœuds aux essais, c'est-à-dire 20 nœuds et demi en service. Pourquoi 20 nœuds et demi seulement? demandera-t-on. Parce que, nous l'avons vu, pour aller plus vite, il faudrait dépasser les dimensions de la Campania qui a 189 mètres de long et arriver à celles du Kaiser-Wilhem qui a 196 mètres, et que le port du Havre n'a ni le tirant d'eau, ni les formes de radoub, ni même les bassins à flot nécessaires pour recevoir de pareils navires.
Hélas! c'est là qu'en est la France après avoir consacré, depuis vingt ans, des sommes énormes à l'amélioration de ses ports. Comme toujours, on a réparti ces dépenses sur un grand nombre de points pour donner satisfaction à des intérêts locaux. Et l'on a sacrifié l'intérêt national qui exigeait -qui exige plus que jamais- un grand port adapté aux nécessités modernes."

Un nouveau paquebot italien - Sur les lignes de l'Amérique Centrale et de l'Amérique du Sud, les diverses compagnies de navigation ne se livrent pas il la même course au clocher que sur la ligne de New-York. Les escales sont nombreuses, et les services s'appliquent surtout à être réguliers. Les paquebots des Messageries maritimes et ceux de la Royal Mail n'ont jamais engagé de luttes de vitesse. Et les Messageries estiment n'avoir aucun intérêt à demander au Brésil ni à La Plata une marche supérieure à 15 nœuds 49 ou 15 nœuds 55, moyennes respectives de ces deux navires en 1896.
Il est intéressant cependant de constater les efforts que fait, dans l'Atlantique sud, le pavillon italien pour se placer sur le rang des pavillons français et anglais. La compagnie de navigation La Veloce, qui acheta jadis l'America, alors que ce paquebot avait obtenu les traversées les plus rapides entre New York et l'Europe, a procédé cette année, dans le port de Gênes, au lancement de deux nouveaux navires destinés au service des Antilles et de La Plata, nommés le Centro-America et la Savoia.
Le dernier en date, la Savoia, a été lancé à Gênes le 26 septemhre dernier. Sa longueur totale est de 113,8 m et il jauge 6,760 tonneaux. Ses deux machines à triple expansion ont une force de 5,800 chevaux avec laquelle on espère obtenir une vitesse de 16 nœuds et demi. 80 passagers de première classe, 40 de deuxième et 800 de troisième peuvent trouver place à bord de la Savoia.

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